Souvenir

Souvenirs d’Alex

04.09.2023

Je suis né le 22 novembre 1927, soit seulement 9 ans après la fin de cette guerre 1914-1818, celle que l’on appelait à l’époque « la grande guerre. » Personne ne pouvait alors s’imaginer que la suivante serait encore plus longue, qu’elle durerait 5 ans, que les dommages qu’elle provoquerait seraient encore plus importants, que plus de pays y seraient impliqués, que les pertes humaines seraient énormes et qu’elle verrait des génocides et les camps de concentration impensables que l’on découvrirait lorsqu’elle toucherait à sa fin.

Le 1er janvier 1942, ma grand-mère nous quittait et j’en fus très marqué car j’adorais celle qui était ma marraine et m’avait toujours gâté depuis ma naissance.

Pendant les vacances de 1942, le 19 Août, les forces Alliées lancent un raid sur Dieppe, destiné à ouvrir un second front à l’ouest pour diminuer à la demande de Staline, la pression allemande sur le front russe. Mais, très vite, l’opération tourne au désastre. Elle ne fut cependant pas inutile car elle permit aux alliés de se rendre compte des difficultés qu’ils rencontreraient lors du vrai débarquement qui se ferait un jour.

Pour les Allemands c’était une victoire et ils firent de nombreux prisonniers, surtout canadiens, dont le convoi en wagons à bestiaux devait passer par Moustier pour se rendre en Allemagne. D’une gare à l’autre l’annonce du train provoquait tout le long du parcours, un afflux de personnes qui venaient le long de la ligne de chemin de fer pour applaudir ces malheureux qui au travers des ouvertures des wagons, nous faisaient le signe V avec les doigts. Les Allemands étaient en colère de voir l’accueil que l’on faisait à ces soldats et menaçaient de tirer sur la foule. Malgré cela, je me souviens être monté sur un poteau pour mieux les voir. 

En Octobre 1942, je quittais le séminaire où je ne voulais plus rester et l’abbé Leboutte qui m’avait bien compris, me ramena à Moustier et alla prévenir mes parents que je quittais le séminaire, avant que je rentre chez moi retrouver ceux-ci. Pour ne pas que je perde un temps d’école, il me fit rentrer à Saint-Louis à Namur. J’étais en 4e latine. Je rentrais encore comme interne à mon grand déplaisir car mon père ne voulait pas que je fasse le trajet par le train tous les jours.  Je fus accueilli à Saint-Louis par l’abbé Legrain, premier surveillant qui me dit que si ce que lui avait dit l’abbé Leboutte était vrai, nous nous entendrions bien.  A Saint-Louis, afin de nous distinguer des autres écoles de Namur, nous devions porter un béret en velours bleu que nous appelions “la flatte”, car ce béret n’avait pas de forme et nous n’aimions pas le porter. Il nous servait surtout à faire briller nos souliers ou essuyer un liquide quelconque. Vous pouvez vous rendre compte de son état !

Les dortoirs ne comportaient pas d’alcôve et tous les lits se trouvaient un derrière l’autre, simplement séparés par des rideaux. On se lavait dans des bassins situés à côté des armoires dans le couloir d’accès. On n’avait aucune intimité et de ce côté, je regrettais Floreffe où nous avions au moins nos alcôves.

J’ai gardé cependant des souvenirs très obscurs de cette période où l’occultation décrétée par nos occupants nous obligeait, dès les premières heures de la soirée, à nous déplacer dans une demi-obscurité feutrée. Le soir, nous nous dirigions vers nos dortoirs où dans une lumière bleutée, nous regagnions notre lit perdu dans l’immensité des locaux.

Au réfectoire, les repas étaient ce qu’ils étaient, vu le rationnement. Il faut se rendre compte que ce n’était pas rien de remplir les estomacs affamés et afin de compléter les repas qui nous étaient servis, nos parents nous apportaient ce qu’ils pouvaient : pain, jambon, beurre etc. que la bonne règle nous faisait partager avec les moins favorisés.

Notre classe était située dans les nouveaux bâtiments plus modernes qui avaient été construits pour augmenter la capacité d’accueil pour les élèves dont le nombre augmentait rapidement.

Notre professeur, l’abbé Rifon, était très érudit et il nous fit aimer les cours que nous suivions avec beaucoup de plaisir et il nous apprit à aimer la grande musique. Lorsqu’il nous expliquait un ballet, il simulait la jambe levée des danseuses par sa main posée sur le bureau, l’index de cette main se levant en mesure, suivant les péripéties du ballet.

Notre professeur de Mathématique était l’abbé Chenu. Quand il faisait une démonstration d’algèbre, il la terminait toujours par cette phrase : « Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. » Ou alors c’était « C.Q.F.D. » (ce qu’il fallait démontrer). Nous le perdîmes très tôt et nous allâmes à son enterrement à Bouvignes.  Etant interne, je fréquentais la salle d’étude, proche de la salle vitrée.  C’est là qu’un jour, l’un d’entre nous ayant des difficultés pour ouvrir son pupitre, le surveillant du moment lui dit avec l’accent qui lui était propre : « Allons, gros béta, vous ne voyez pas qu’il manque une vis à vot’pèpèt’ » ce qui déclencha un fou rire général.

Fin 1942 je tombai malade. J’avais le visage tout gonflé en me levant.  Directement mes parents furent prévenus et vinrent me rechercher. En rentrant chez moi, le Docteur Delvigne me fit faire des analyses de sang et d’urine et l’on constata que je faisais de l’albumine et de l’urée. En même temps je fis aussitôt une néphrite avec sang dans les urines et l’on me mit au lit et au régime. Je ne pouvais plus que boire du lait (j’en bus jusqu’à 4 litres par jour). En même temps on m’interdit le sel même dans le pain.  A ce régime, je mourais de faim et le soir quand tout le monde était couché, j’en profitais pour manger ce que je trouvais.  On avait descendu un lit au rez-de-chaussée où l’on pouvait me soigner plus facilement. Combien de fois le docteur Delvigne n’est-il pas passé me voir, même plusieurs fois par jour. Je le vois encore s’asseoir sur le bord du lit et m’observer attentivement pour essayer de comprendre ce que j’avais comme maladie.

Mon état ne s’améliorant pas, je fus hospitalisé à l’hôpital Saint-Camille à Namur (devenu bien plus tard le Centre Hospitalier Régional Sambre & Meuse, ndlr), bien vétuste à l’époque. Le Docteur Berleur, après un certain temps, comme on ne décelait pas mon problème, m’envoya à l’hôpital universitaire Saint-Pierre à Bruxelles où je fus traité par le professeur Govaerts qui découvrit ce qui n’allait pas et me renvoya chez moi avec comme remède, qu’il fallait me suralimenter car je faisais une grande crise de croissance. En effet, après tous ces mois de disette, je dus manger tous les matins, une omelette au lard et beaucoup de viande et de féculents aux autres repas. Je m’étais couché enfant et je me levais avec la taille d’un jeune homme et mes vêtements étant trop petits, il fallait me rhabiller complètement.

Avec ce régime, je fus vite remis sur pied et il fut admis que je pouvais reprendre les cours à Saint-Louis. Cependant, et là, ce fut pour moi la délivrance, je ne pouvais plus vivre en internat et j’allais rentrer chez moi tous les jours.

Afin de me remettre dans le coup, après tous ces mois de maladie, il fut décidé que je reprendrais les cours en 5e avec l’abbé Lebrun. Ce fut court et après les grandes vacances, je rentrai en 4e et retrouvai avec plaisir l’abbé Rifon que j’avais connu en arrivant à Saint-Louis.

J’allais donc faire le trajet Moustier-Namur tous les jours. Pour moi, c’était la réalisation de mon rêve, pouvoir rentrer chez moi et vivre avec mes parents dont j’avais été privé pendant les années de pensionnat.  Je me promis alors que si un jour, j’avais le bonheur d’avoir des enfants, jamais je ne les enverrais en pension.

C’était l’époque où les chemins de fer n’avaient plus d’horaire, si ce n’est sur papier. Si l’heure du train était 7h20 départ Moustier, il arrivait péniblement à Namur vers 10h30 ou 11h....

Combien d’heures de football n’avons-nous pas jouées sur la place de la gare en attendant le train !

 

LA RENTREE A SAINT-LOUIS EN SEPTEMBRE 1944

 Après la libération les trains étaient rares. Il y avait bien le tram vicinal qui de Namur arrivait à Spy. Il était surchargé et pour monter la côte de Belgrade, combien de fois, avons-nous dû en descendre pour pousser tous ensemble afin qu’il atteigne le sommet de celle-ci. Il lâchait des volutes de fumée qui nous faisaient tousser, car c’était encore un tram à vapeur avec une vieille locomotive carrée que l’on avait ressortie des réserves car avant la guerre la ligne était électrifiée.

Pour ceux qui le pouvaient, il valait mieux chercher à se loger en ville. Madame Halloy, épouse du commandant prisonnier en Allemagne, et que nous connaissions de longue date, voulut bien m’accueillir et c’est avec plaisir que je m’installai chez elle, d’autant plus que sa fille Andrée était mon professeur de piano à ce moment.

Je pourrais ainsi continuer mes études et mes leçons de piano Chaque semaine je partais en vélo pour Namur. Ma maman avait rempli mes deux sacs de viande, pain, beurre et autres aliments comme des pâtes et autres féculents afin d’aider Madame Halloy et la remercier ainsi de m’avoir permis de continuer mes études à Saint-Louis, sans problème majeur.

Pendant mon trajet à vélo, j’étais souvent dépassé par de grosses jeeps américaines. Les soldats qui s’y trouvaient curieux sans doute de me voir pédaler avec autant de vigueur, me lançaient des rations “K”, des cigarettes et je m’arrêtais pour les ramasser.  Je les partageais avec Andrée qui appréciait beaucoup toutes ces denrées.

Les Américains étaient très friands des œufs frais. En effet, ils ne les avaient qu’en poudre dans ce qu’ils recevaient de leurs approvisionnements.  Avec des œufs frais, vous pouviez avoir d’eux tout ce que vous vouliez. C’était du troc pur et simple. Tu me donnes des œufs et tu auras ce qui te convient.  Dans mon cas ce furent de magnifiques pantalons et un blouson d’officier dont la couleur ne faisait pas imaginer que c’était un uniforme. J’en étais très fier.

Pendant l’hiver que je passai en pension chez Madame Halloy, nous eûmes une fuite d’eau énorme. Tout l’appartement était noyé et l’eau dévalait les escaliers comme un torrent. Avec Andrée, faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, nous nous attelâmes avec des raclettes à évacuer toute l’eau qui ne fut arrêtée que lorsque l’on parvint à fermer le compteur.

Par après les trains reprirent péniblement avec tous les retards que l’on devine.

La rentrée en septembre 1944 s’avéra très difficile pour la Direction de l’institut car il fallut caser toutes les classes dans les anciens bâtiments, annexes, greniers, en un mot tout local susceptible d’accueillir une classe.

La classe de troisième avec l’abbé Corbiaux s’installa dans un grenier plus ou moins aménagé, chacun faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, prit sa place avec la ferme intention de faire le maximum pour nous en sortir.

Si l’année commença bien, l’hiver qui arriva, nous trouva tout transis, car point de chauffage central. Seul un gros poêle Godin avec sa longue buse trônait au milieu de la classe. Et qu’avions-nous pour le nourrir ? Pas grand ’chose... Alors, à la guerre comme à la guerre, nous allions en corvée de bois dans les décombres des bâtiments bombardés et nous bourrions notre poêle jusqu’au couvercle, ne l’allumant que lorsqu’il était impossible de faire autrement. En effet, afin d’épargner le combustible, nous gardions manteaux, écharpes et même nos gants pour nous protéger du froid.

Un jour, un copain « bien intentionné » me dit : « L’abbé Corbiaux a dit que l’on pouvait allumer le feu ». Il ne fallait pas me le dire deux fois et deux minutes plus tard, le feu commençait sa joyeuse chanson. Tout-à-coup celle-ci fut ponctuée par un coup de tonnerre et l’envol du couvercle du poêle... Le bon copain n’avait rien trouvé de mieux que de mettre un gros pétard (Dieu sait où il l’avait trouvé) dans le combustible.  Naturellement, nul ne sut jamais qui était l’auteur de cette farce, ni non plus qui avait allumé le poêle...

Nous, les externes, avions notre réfectoire dans un vieux bâtiment situé à gauche après la rampe d’accès. C’est son image qui est reproduite sur la couverture des revues de Saint-Louis et chaque fois, je me revois amenant ma gamelle en entrant le matin et la déposer sur la vieille cuisinière qui chauffait en même temps le local. Un d’entre nous se chargeait de les surveiller de temps en temps et à midi, nous nous retrouvions tous autour des tables de ce que nous appelions « notre mess » en rigolant.

La discipline était beaucoup plus stricte. Il était interdit de fumer en ville, interdit de passer par la foire, qui en ce temps-là, était installée depuis la place d’Omalius, le boulevard Ernest Mélot, repartait de la gare, suivait le long du chemin de fer où se trouvent actuellement “C&A”, la gare des autobus et toute la place Léopold.  Naturellement nous étions tentés d’aller voir ce qui s’y passait.

[…]

Les cérémonies de la victoire furent grandioses, mais elles ne furent possibles qu’après la signature de la reddition de l’Allemagne le 8 mai 1945, soit à deux jours près, cinq ans après le début de la guerre.

Cette année-là, nous terminions notre troisième à l’Institut Saint-Louis

et ce furent nos premières vacances

de PAIX.

Elève portant fièrement la "flatte " de l'Institut

Alex Lenoir

Rhéto 1947

Photographie prise
lors du banquet
du 19/11/2011

 

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