Souvenir

A Saint-Louis il y a 60 ans et plus

04.09.2023

Comme le rappelle Jacques Briard, sorti de Saint-Louis en 1960 et ancien journaliste professionnel, l'année 1959-1960 fut – comme celle de 2020 – assez particulière, avec le début de la lutte armée contre l'apartheid en Afrique du Sud et l'accession à l'indépendance du Congo belge ou encore les grandes grèves de fin '60 en Belgique. Mais ce fut aussi une année spéciale pour les élèves de la seule rhétorique de gréco-latines et masculine existant alors rue Pepin.

En septembre 1959, les rhétoriciens de l'institut Saint-Louis à Namur ont retrouvé l'abbé Roger Dehant comme titulaire, après l'avoir déjà eu en 3e (ou actuelle 4e). Celui-ci avait à relever le sérieux défi de succéder au « maître » que fut son prédécesseur l'abbé et futur chanoine Albert Maniet mais en étant aussi engagé quasi chaque jour au Jury central à Bruxelles, au lendemain de la fin de la guerre scolaire du siècle passé et de la signature du Pacte scolaire intervenue en 1958. Si bien que l'on peut dire que c'est ensemble que l'abbé Dehant et les rhétos de 1959-1960 ont construit leur année. Au cours de celle-ci, ils mirent en scène le Hamlet de Shakespeare, avec feu Pierre Fivet dans le premier rôle et votre serviteur comme initiateur de quelques notions d'escrime. De même, comme j'avais déjà quelques années de scoutisme en milieux populaires à Namur, mes condisciples me désignèrent comme président de leur Saint-Vincent de Paul. Sans doute celle-ci n'a-t-elle pas échappé aux risques de paternalisme. Mais elle permit en tout cas de découvrir les conditions de vie précaires ou plus graves encore vécues en bords de Sambre par des hommes et des femmes aux origines diverses et parfois lointaines, en ce et y compris les personnes âgées vivant à l'hospice Saint-Gilles ou actuel Parlement des Wallons, dont Léon, l'ancien portier de Saint-Louis et fumeur de pipe.

De plus, lors de l'été '60, c'est dans le cadre de la Jeunesse Étudiante Chrétienne (JEC) que des rhétos et autres élèves de Saint-Louis participèrent à un voyage en Autriche et en Suisse, sous la conduite de l'abbé Caussin, alors professeur de 4e (actuelle 3e) et par après professeur de rhéto, directeur et chanoine.  Ce voyage fut une occasion de découvrir les beautés du Tyrol, mais aussi un peu une autre culture, dont l'existence des Auberges de Jeunesse et la découverte de la fréquentation de celles-ci par des groupes de filles et garçons, bien avant l'ouverture de Saint-Louis à la mixité !

La rhéto '59-60 coïncida avec l'exécution en Afrique du Sud, à Sharpeville de Noirs qui refusaient le 21 mars 1960, de porter des passeports que leur imposait le gouvernement de l'apartheid, pour aller travailler chez les Blancs, si bien que ce massacre marqua la fin de la lutte non-violente et sans résultats contre ce régime et le début d'une lutte armée à situer dans le cadre de la fin de la période coloniale et de la lutte Est-Ouest. Mais en Belgique, il en fut beaucoup moins que de la proclamation, le 30 juin, de l'indépendance du Congo, à la suite de « Tables rondes » tenues dans la précipitation à Bruxelles, tandis que les rhétos namurois étaient préparés à faire des études supérieures ou à accéder déjà à une vie professionnelle par leur titulaire et d'autres professeurs, dont M. Poncelet, pour les mathématiques, qui enseignait aussi à l'institut Saint-Berthuin à Malonne, et M. Bombeeck, professeur de diction qui, avant de les quitter, leur offrit encore ses éventuels services pour pouvoir mieux s'exprimer en public à l'avenir.

Ayant fait toutes mes études primaires et secondaires à Saint-Louis, comme externe, je pourrais évidemment évoquer bien des enseignants et des prêtres « surveillants », ou aujourd'hui éducateurs. Mais je n'en citerai que quelques-uns, à savoir : l'abbé Delaive, professeur de 1ère et 2e primaires d'avant le Pacte scolaire, M. Alphonse Binon, en 5e primaire, et M. André Gaussin, auquel je suis reconnaissant - comme journaliste - d'avoir fait connaître et employer « Le Bon usage » du célèbre grammairien belge Maurice Grevisse. Et en humanités, il y eut en 4e (actuelle 3e) Émile Cristelle qui, en plus de faire découvrir des auteurs latins et grecs, prodiguait de sages conseils comme « L'expérience, c'est quand on se brûle » et « On ne fait jamais l'économie d'une expérience », tout en ayant cependant été un gros fumeur de cigarillos ! Mais il y avait aussi un professeur de gymnastique et ancien militaire qui lisait son journal en donnant ses leçons, avec une certaine distance vis-à-vis de l'adage « Mens sana in corpore sano », qui n'était pas aussi suivi que cela alors à la rue Pepin. Alors qu'il y avait cependant des fans de football et de balle pelote lors des récréations et à Saint-Fiacre. Quant à l'abbé Bosart, il osait lever la voix à propos des chants des offices et il était fort actif dans la préparation des décors des pièces de théâtre ou, outre Pierre Fivet déjà cité, on avait vu Louis Maniquet, père de François, dans « Douze ans en colère » durant les années '50 et Jacques Dulieu dans « Le Petit Prince » de Saint-Exupéry.

Ma 3e (ou actuelle 4e) coïncida avec l'Exposition universelle de Bruxelles, avec tout l'aura apportée à la Belgique, aux débuts de la conquête de l'espace et de la société de consommation « made in USA ». Lors de cette année, j'obtins une cote moyenne pour une élocution sur le père Teilhard de Chardin, du fait que le sujet me dépassait, mais peut-être aussi parce, avant le concile Vatican II, ce célèbre père jésuite n'était pas en odeur de sainteté au sommet de l'Église catholique, ce qui a – soit dit en passant ! – été le cas de pas mal de chrétiens et de chrétiennes à travers l'Histoire !

En Poésie ou actuelle 5e, il y avait un autre maître en la personne de l'abbé Louis Rifon avec toute son ouverture au monde, à l'histoire et aux arts jusque dans l'explication de la fabrication du Roquefort.

Il y a eu aussi les surveillants chargés d'aller voir à l'entrée du magasin Sarma, à la rue de la Monnaie, si les externes n'y faisaient pas des détours Et il y avait évidemment l'abbé et préfet Capelle. Lors de ma 3e (actuelle 4e), ce dernier m'envoya chez le directeur qu'était le chanoine Belot, parce que je n'allais pas à la messe quotidienne, ni en paroisse, ni à l'institut. Car la manière de célébrer la messe avant le concile Vatican II m'attirait bien moins que celle déjà vécue alors chez les scouts. Mais le chanoine Belot prit le temps de m'écouter le lui expliquer avant de me dire : « Oui, mais, fais quand un petit effort pour venir de temps et temps avec les internes ». Ce que je fis modérément, mais sans plus jamais être appelé par le Préfet !

Ainsi, de ma scolarité à Saint-Louis, j'ai surtout retenu les côtés positifs au plan éducatif, même s'il y a eu d'autres aspects à replacer dans le contexte de ces années-là ! Et sans doute que des internes ont gardé des souvenirs quelque peu différents et parfois difficiles à vivre, par exemple lors de leurs rentrées des dimanches soirs avec projections de films et les promenades à la citadelle.

Personnellement, je garde aussi d'excellents souvenirs des échanges que j'ai eus au sujet de l'évolution de l'enseignement et de l'ouverture de Saint-Louis avec l'abbé Dehant, quand il en était directeur, jusqu'à son décès survenu à la suite d'une leucémie foudroyante, et alors que, comme journaliste, je suivais notamment les dossiers liés aux études et aux formations.

Il en est de même, d'une manière générale, de mes souvenirs de père de famille dont les quatre enfants ont fait tout ou parties de leurs scolarités à Saint-Louis, ma fille ayant été la première fille inscrite à Saint-Louis. Et cela à l'époque de l'enseignement rénové et de la multiplication des options, bien après les quelques années de Latin-Maths des années '50, mais avec les camps Saint-Louis et avant le Saint-Louis Festival qui étaient peu imaginables avant 1960, de même que tout ce que vivent à présent des élèves appartenant à Saint-Louis à la quatrième génération de ma famille !

 

Jacques BRIARD
Rhéto 1960

 

Ayant été durant les années '60 et jusqu'en 1972, journaliste des actuels quotidiens « L'avenir », Jacques Briard a été par après, dans le cadre de l'Église catholique, premier responsable national de l'Action Vivre Ensemble, association engagée dans la lutte contre pauvretés et exclusions sociales en Belgique (Cf Campagnes de l'Avent www.vivre-ensemble.be) puis permanent de l'ONG Entraide et Fraternité (Cf  Carêmes de Partage avec des plus pauvres des pays du Sud www.entraide.be). Pour cette ONG et d'autres, à partir de 1987, il a effectué pas mal de missions en Afrique du Sud, Namibie, Zimbabwe et Tanzanie. Ayant rencontré Nelson Mandela à trois reprises, il en a signé un portrait dans « Petit manuel pour héroïnes et héros en devenir » publié par les Presses universitaires de Namur en 2017.  Il est le coauteur du livre « Paroles de chrétiens en terres d'Asie » paru à Paris chez Karthala, en 2011, et de « Joseph Comblin, prophète et ami des pauvres » (aux Éditions Lessius en 2014). Collaborateur du magazine chrétien « L'appel » depuis les années '70, il a régulièrement témoigné en Belgique, en France, en Suisse et en Afrique, mais « jamais, dit-il, à Saint-Louis... ».  Ayant obtenu durant sa carrière une licence à la Faculté ouverte en politique économique et sociale de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve, il participe au Réseau international pour une économie humaine (www.rieh.org).

 

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